Anarchie, vous avez dit anarchie ?



Il n’y a pas de mouvement anarchiste. Il y a un mouvement de libération de l’humanité, appelé révolution, qui a pris, au cours de notre histoire, des dénominations diverses, dont les plus connues sont : communiste, socialiste et anarchiste. Mais il y en a des centaines d’autres, comme « libéral » avec, par exemple, Florès Magon et son Parti libéral mexicain, au début du siècle 20 !
Voir Viva Zapata!, dans la rubrique Divers.
Ecoutons tout de suite une chanson phare du mouvement révolutionnaire, écrite par Charles d’Avray, en 1901, Le triomphe de l’anarchie, chantée ici par Les quatre barbus, dans leur album Chansons anarchistes (1969) :

Si le texte dit : « Dès aujourd’hui vivons le communisme » c’est qu’avant la contre-révolution lénino-trotsko-stalinienne, à partir de 1917, et sa nouvelle religion marxiste-léniniste, les révolutionnaires ne connaissaient pas de cloisonnement strict entre anarchisme et communisme. D’ailleurs nombre de groupes s’appelaient anarchistes-communistes, ou communistes-anarchistes, comme nous le décrit l’excellent ouvrage Vive la révolution, à bas la démocratie !, édité par Mutines séditions (2016).
Le triomphe de l’anarchie est donc un titre qui alimente la confusion. La phrase : « Ne nous groupons que par affinités » ne renvoie pas à des familles politiques cloisonnées, mais à une nécessité de toujours des révolutionnaires de se grouper pour lutter plus efficacement et, aussi, se défendre des flics et de leurs mouchards. C’est une affinité liée à l’activité militante, organisée et consciente, et non, un assemblage de gens qui se disent « anarchistes » !

Gaetano Manfredonia tombe dans cette idéologie d’une famille anarchiste dans son ouvrage La chanson anarchiste en France des origines à 1914, aux éditions L’Harmattan (1997), qui pourtant fourmille de mille infos intéressantes. Gaetano Manfredonia interviendra dans les documentaires Ni Dieu, ni maître, une histoire de l’anarchisme (2016) qui renforce cette idéologie de chapelle d’une famille anarchiste. A bas la Famille, à bas toutes les familles ! Ces reportages sont une réécriture de notre histoire de lutte et un crachat à tous ceux qui ont lutté pour la révolution sous un autre drapeau que celui de l’anarchie. Faisons une exception pour le passage où Marianne Enckell parle de la propagande par le fait.
Sur wikipedia on peut trouver une liste des attentats commis lors de cette période dite de propagande par le fait. La chanson Le triomphe de l’anarchie chantera cette geste, décriée par les anarchistes de salon : « Que le sang coule, et rougisse la terre/Mais que ce soit pour notre liberté. »
Sante Caserio tue le président de la république française, Sadi Carnot, le 25 juin 1894. Il sera exécuté le 15 août 1894.
Une chanson lui rend grâce, Su fratelli. L’excellent site antiwarsongs nous donne mille détails sur cette belle chanson :
https://www.antiwarsongs.org/canzone.php?lang=fr&id=6001
Son jeune avocat de 20 ans, Pietro Gori, doit aussitôt fuir l’Italie, suite à une vague d’arrestations dans les milieux militants, et se réfugier en Suisse… d’où il est expulsé en janvier 1895. A cette occasion il écrit Addio Lugano bella. On écoute une version chantée par une brochette de chanteurs italiens, dont Giorgio Gaber, dont nous avons traité son Il tutto è falso dans la rubrique Analyses :

En fait Guillaume Tell n’a jamais existé, mais peu importe… la chanson prône « la paix parmi les opprimés/La guerre aux oppresseurs » qui situe la lutte sur un terrain de classe. Il est bien connu que si tu veux la paix, prépare la guerre sociale !
Il est difficile d’enfermer ces militants, tueurs de tortionnaires, dans une idéologie « anarchiste », même s’ils se prétendaient tels. D’ailleurs nombre d’intellectuels « anarchistes » ont désavoué leurs pratiques. Cette vague d’attentats, d’expropriations, d’organisations… était internationale et internationaliste, tel l’Italien Caserio tuant le Français Carnot. Cette dimension est importante.
Il existe plusieurs chansons sur Sante Geronimo Caserio, dont l’acte purificateur a eu un retentissement énorme. On trouvera sur ce site la plaidoirie de notre camarade, ainsi que le texte de trois chansons à son honneur :
https://fr.ossin.org/les-jours-chant%C3%A9s/1014-le-mythe-populaire-de-sante-caserio

On connait, en Russie, la période dite des Populistes, des Nihilistes, etc., dans les années 1870, qui, malgré des faiblesses énormes, participaient à la libération de l’humanité, refusaient la servitude et tuaient ceux qui les tourmentaient, eux, leurs familles, leur classe sociale. Cette période doit beaucoup à Michel Bakounine.
Et ce sont ces militants qui vont inspirer d’autres camarades et les inciter à s’organiser dans un courant appelé Socialistes-révolutionnaires, dont les plus radicaux scissionneront pour créer une branche révolutionnaire qui prendra le nom de maximaliste. Il faudra la révolution, courant 1917, pour qu’une fraction se dégage des S-R, appelée S-R de gauche… qui fricoteront avec les Bolcheviks, avant de se faire massacrer par eux, en été 1918. Des notes plus développées sur le maximalisme se trouvent en annexe 1.
Pour s’y retrouver dans la jungle des appellations, des définitions, des idéologies, etc., il ne faut faire référence qu’à la pratique des militants. La lutte de classe traverse toutes les organisations, toutes les idéologies, tous les mouvements et tous les camarades. En témoigne le tristement célèbre Manifeste des 16, de Kropotkine, Jean Grave et consorts, et sa réponse, que nous présentons in extenso en annexe 2.
D’un côté, un texte va-t-en-guerre, nationaliste, contre-révolutionnaire, de l’autre sa réponse révolutionnaire, internationaliste. Et pourtant tous se disent « anarchistes » !
Une pause avec Arbetlose Marsch (Marche des chômeurs), écrit par Mordechaj Mardkhe Bertig, dit Gebirtig, en 1937, en solidarité avec les chômeurs. Cette chanson appartient à notre patrimoine révolutionnaire, contre toutes les barrières linguistiques et idéologiques. Voir Daloy Politsey dans la rubrique Analyses.

Il n’y a pas de mouvement anarchiste. Sur ce site nous nous efforçons de casser les prisons idéologiques et de dénoncer les appropriations privatives, les manipulations, les calomnies, etc., et il est vrai que nous pointons souvent le léninisme-stalinisme, maître en la matière ! Mais l’anarchie idéologique n’est pas en reste. Il faut aussi le dénoncer. Voir, entre autres, Ballata dell’anarchico Pinelli et Il Galeone dans la rubrique Analyses.
Cette appropriation politique, via cette appellation fourre-tout, met de côté de façon contre-révolutionnaire plein de « courants », d’expressions de notre classe sociale en lutte. Un exemple, parmi de nombreux autres, avec Jan Waclav Makhaïski, dans l’empire russe. Les éditions Spartakus éditent en 2014, Le socialisme des intellectuels, qui réunit des textes de Makhaïski, choisis, traduits et présentés par Alexandre Skirda. Voir annexe 1.
On pourrait parler aussi des dits « sans-partis », inféodés à la pratique militante et organisative, sous aucun drapeau, mais qui sont de tous les mouvements de classe, de la manif à la grève, en passant par divers niveaux d’organisation… qui balaie la réputation du sans-parti inorganisé ! Voir Gilets jaunes dans la rubrique Divers.

Cette idéologie familiale anarchiste, exclusive et excluante, confusionnante, etc., à des implications terribles. Un exemple célèbre nous est donné avec Emma Goldman qui, lors de son séjour en Russie, refuse de rencontrer Makhno, car trop violent à son goût. Il a fallu que quelques camarades, au péril de leur vie, viennent clandestinement discuter avec elle (quelques heures seulement !) pour qu’elle entende la réalité de la répression des révolutionnaires en Russie… pas uniquement anarchistes ! Et fort logiquement, Emma Goldman n’a pas non plus apprécié l’attentat de septembre 1919, contre les cadres bolcheviks à Moscou ! D’ailleurs, selon Gorélik : « La majorité des anarchistes ‘officiels’ s’en désolidarisa ! » Anatole Gorélik, Les anarchistes dans la révolution russe, brochure éditée, en juin 1922, par le Groupe ouvrier d’édition en Argentine.
Nouvelle pause avec L’Internationale, hé oui ! Pour le coup, nous revenons à nos crachats contre le stalinisme qui a confisqué ce chant magnifique, dont nous signons tous les couplets. Jamais les staliniens ne chantent le couplet sur le défaitisme révolutionnaire ! Mais combien de dits anarchistes rangent aussi ce chant de lutte dans la catégorie honnie « marxiste », au même titre qu’ils ne lisent pas Marx… ni Bakounine d’ailleurs ! Petit rappel, L’Internationale est écrite par Eugène Pottier, en mai-juin 1871, alors qu’il se cache, à Paris, des tueurs versaillais. On écoute Marc Ogeret la chanter, en 1968 :

La fausse communauté anarchiste va de nouveau se diviser sur la Plate-forme organisationnelle de l’union générale des anarchistes, abusivement appelée Plate-forme d’Archinov, signée par cinq militants : Nestor Makhno, Piotr Archinov, Ida Mett, Valesvsky et Linsky, en 1926, à Paris. Ces militants publiaient, depuis leur exil en France, une revue, Dielo Trouda, qui tentait de tirer les leçons de la révolution en Ukraine, connue comme la Makhnovtchina. Deux positions vont se dessiner : l’une, défendue par Voline, Faure, Berkman, etc., appelée Synthésiste, défend une conception que nous critiquons, où il suffit de se déclarer anarchiste pour rentrer dans cette grande famille idéologique… l’autre, appelée Plate-formiste, a le mérite de porter le fer là où ça fait mal : l’anarchisme idéologique. Nous ne défendons pas toutes les positions de la dite Plate-forme mais reconnaissons l’effort théorique de ces camarades de ne pas baisser les bras et de planter des jalons pour l’avenir.
Cet effort théorique, aux lendemains de cette formidable vague de lutte, et qui portait surtout sur la question de l’organisation, avait déjà été fait par Anatole Gorélik, en 1922. Alexandre Skirda, dans Les anarchistes russes, les soviets et la révolution de 1917 (éditions de Paris, 2000), en donne la traduction complète. A lire toute affaire cessante ! Nous ne sommes pas d’accord avec Gorélik quand il dit : « Personnellement, je considérais et considère toujours, qu’il n’y a pas eu de révolution sociale en Russie, ni avant ni après Octobre. » Si 1905, puis 1917 ne sont pas des mouvements révolutionnaires, alors quand y en a-t-il eu ?
En 1929, Kurt Gustav Wilckens lance une bombe qui tue le colonel Varela, responsable des massacres de la Patagonie rebelle (1500 morts), en 1921, en Argentine. Plus d’infos dans La Patagonie rebelle, d’Osvaldo Bayer, édité en français par les éditions Acratie (1996), ainsi que, plus spécifiquement sur Severino di Giovanni, Face à face avec l’ennemi, aux éditions L’Assoiffé, en 2019.
« Oui, mon cœur je le jette à la révolution »… chante Louise Michel dans la chanson qu’elle écrit en 1871, La danse des bombes, un hymne à la lutte violente, totale, assumée et vivante, qu’aucun camarade ne désavouerait… quelque soit l’étiquette qu’il s’est ou qu’on lui a collée. Louise Michel a fait l’objet d’une lutte d’appropriation des féministes, des anarchistes… alors qu’elle était seulement une militante révolutionnaire. Michèle Bernard lui donne tout son éclat :

Ce petit tour d’horizon ne peut éviter la révolution en Espagne, où, là encore, l’anarchisme idéologique a été un des responsables de la défaite du prolétariat révolutionnaire. Il est facile d’incriminer les staliniens… plus difficile d’admettre la responsabilité des nouveaux maîtres anarchistes de l’Espagne, en juillet 36. Nombre d’auteurs ont critiqué l’attitude contre-révolutionnaire de la CNT… de « l’anarchiste », Garcia Oliver, sinistre de la justice, responsable des prisons, des camps de concentration, remplis de prolétaires en lutte… jusqu’aux appels au calme en mai 37, à Barcelone ! Voir Espagne 36 dans la rubrique Divers.
En 1886, Sébastien Faure écrit La révolte, dont on écoute la vigoureuse version de Binamé, en 1986, qui s’est permis, dans le refrain, de remplacer « politique » par « démocratie », voulant probablement critiquer l’idéologie démocratique, si puissante de nos jours :

Le refrain de La révolte reprend un canon de l’anarchisme idéologique, l’anti-autoritarisme ! Quelle blague ! Comme si tous, oui tous les mouvements sociaux n’étaient pas violents et, systématiquement, trop gentils par rapport aux défenseurs de l’ordre ! Cette idéologie néfaste, voisine du pacifisme, contribue encore de nos jours à semer la confusion chez de nombreux camarades impliqués dans les luttes sociales.
Il y a pourtant mille exemples qui nous montrent que « si tu veux quelques chose camarade, il te faudra le prendre ! » Dans l’Argentine du début du 20ème siècle, nos camarades ne se posaient pas cette question de la violence. Voici un exemple avec Bandidos rurales, de Leon Gieco (2001), qui chante la geste des « anarchistes » expropriateurs dans ce pays, qu’on peut écouter sur le site Dans l’herbe tendre :
https://radioherbetendre.blogspot.com/2016/07/bandits-biens-aimes-en-argentine.html
Severino di Giovanni aurait apprécié !
On pourra lire sur cette région et cette période, entre autres, La Patagonie rebelle (1972) et Les anarchistes expropriateurs (1975), d’Osvaldo Bayer.
Nous ne ferons certainement pas le tour de la question dans ce texte, qui met en avant notre programme révolutionnaire de toujours, contre toutes les étiquettes, les familles, les chasses gardées idéologiques, dont celle appelée anarchiste. S’il n’y a pas de mouvement anarchiste, les révolutionnaires ont très souvent brandi ce drapeau avec fierté et courage. Avec eux, n’ayons pas peur d’affirmer, contre les sectaires et les politiciens de tous bords :
Vive l’anarchie, vive le communisme, vive la communauté humaine mondiale !


Paroles

Le triomphe de l’anarchie

Tu veux bâtir des cités idéales,
Détruis d’abord les monstruosités.
Gouvernements, casernes, cathédrales,
Qui sont pour nous autant d’absurdités.
Dès aujourd’hui, vivons le communisme
Ne nous groupons que par affinités
Notre bonheur naîtra de l’altruisme
Que nos désirs soient des réalités

Debout, debout, compagnons de misère
L’heure est venue, il faut nous révolter
Que le sang coule, et rougisse la terre
Mais que ce soit pour notre liberté
C’est reculer que d’être stationnaire
On le devient de trop philosopher
Debout, debout, vieux révolutionnaire
Et l’anarchie enfin va triompher
Debout, debout, vieux révolutionnaire
Et l’anarchie enfin va triompher

Empare-toi maintenant de l’usine
Du capital, ne sois plus serviteur
Reprends l’outil, et reprends la machine
Tout est à tous, rien n’est à l’exploiteur
Sans préjugé, suis les lois de nature
Et ne produis que par nécessité
Travail facile, ou besogne très dure
N’ont de valeur qu’en leur utilité

Debout, debout, compagnons de misère
L’heure est venue, il faut nous révolter
Que le sang coule, et rougisse la terre
Mais que ce soit pour notre liberté
C’est reculer que d’être stationnaire
On le devient de trop philosopher
Debout, debout, vieux révolutionnaire
Et l’anarchie enfin va triompher
Debout, debout, vieux révolutionnaire
Et l’anarchie enfin va triompher

On rêve amour au-delà des frontières
On rêve amour aussi de ton côté
On rêve amour dans les nations entières
L’erreur fait place à la réalité
Oui, la patrie est une baliverne
Un sentiment doublé de lâcheté
Ne deviens pas de la viande à caserne
Jeune conscrit, mieux te vaut déserter

Debout, debout, compagnons de misère
L’heure est venue, il faut nous révolter
Que le sang coule, et rougisse la terre
Mais que ce soit pour notre liberté
C’est reculer que d’être stationnaire
On le devient de trop philosopher
Debout, debout, vieux révolutionnaire
Et l’anarchie enfin va triompher
Debout, debout, vieux révolutionnaire
Et l’anarchie enfin va triompher

Quand ta pensée invoque ta confiance
Avec la science il faut te concilier
C’est le savoir qui forge la conscience
L’être ignorant est un irrégulier
Si l’énergie indique un caractère
La discussion en dit la qualité
Entends réponds mais ne sois pas sectaire
Ton avenir est dans la vérité

Debout, debout, compagnons de misère
L’heure est venue, il faut nous révolter
Que le sang coule, et rougisse la terre
Mais que ce soit pour notre liberté
C’est reculer que d’être stationnaire
On le devient de trop philosopher
Debout, debout, vieux révolutionnaire
Et l’anarchie enfin va triompher
Debout, debout, vieux révolutionnaire
Et l’anarchie enfin va triompher

Place pour tous au banquet de la vie
Notre appétit seul peut se limiter
Que pour chacun, la table soit servie
Le ventre plein, l’homme peut discuter
Que la nitro, comme la dynamite
Soient là pendant qu’on discute raison
S’il est besoin, renversons la marmite
Et de nos maux, hâtons la guérison


Addio Lugano bella 

Addio Lugano bella,
o dolce terra mia,
cacciati senza colpa
gli anarchici van via
e partono cantando
con la speranza in cor.

Ed è per voi sfruttati,
per voi lavoratori,
che siamo ammanettati
al par dei malfattori;
eppur la nostra idea
non è che idea d’amor.

Anonimi compagni,
amici che restate,
le verità sociali
da forti propagate:
è questa la vendetta
che noi vi domandiam.

Ma tu che ci discacci
con una vil menzogna,
repubblica borghese,
un dì ne avrai vergogna
ed oggi t’accusiamo
in faccia all’avvenir.

Banditi senza tregua,
andrem di terra in terra
a predicar la pace
ed a bandir la guerra:
la pace tra gli oppressi,
la guerra agli oppressor.

Elvezia, il tuo governo
schiavo d’altrui si rende,
di un popolo gagliardo
le tradizioni offende
e insulta la leggenda
del tuo Guglielmo Tell.

Addio cari compagni,
amici luganesi,
addio bianche di neve,
montagne ticinesi,
i cavalieri erranti
son trascinati al nord

Adieu belle Lugano

Adieu ma belle Lugano,
ma douce terre,
chassés sans fondement,
les anarchistes s’en vont
et partent en chantant
avec l’espoir dans le cœur.

Et c’est pour vous, les exploités,
pour vous les travailleurs,
nous, qui sommes menottés
tels des bandits,
pourtant notre idéal
n’est qu’un idéal d’amour.

Camarades anonymes,
amis qui restez,
les vérités sociales
puissiez-vous propager,
c’est ça la vengeance
que nous vous demandons.

Mais toi qui nous expulses
en nous mentant lâchement,
oui, toi, république bourgeoise,
un jour, tu auras honte
et nous t’accusons aujourd’hui
face à l’avenir.

Bandits effrénés,
nous irons de terre en terre
pour prêcher la paix
et bannir la guerre ;
la paix parmi les opprimés,
la guerre aux oppresseurs.

Helvétie, ton gouvernement
désormais esclave d’autrui,
offense les traditions
d’un peuple gaillard
et insulte la légende
de ton Guillaume Tell.

Adieu chers camarades,
amis de Lugano,
adieu montagnes du Tessin
blanches de neige,
les cavaliers errants
sont traînés au nord.

Arbetlose Marsch

Ejns, tswej, draj, fir
Arbetlose senen mir
Nisht gehert chadoschim lang
In farbrik dem hammer-klang
‘S lign kejlim kalt, fargesn
‘S nemt der sschawer sej schoj fresn
Gejen mir arum in gas
Wi di g’wirim pust-un-pas
Wi di g’wirim pust-un-pas

Ejns, tswej, draj, fir
Arbetlose senen mir
On a beged, on a hejm
Undser bet is erd un lejm
Hat noch wer wos tsu genisn
Tajt men sich mit jedn bisn
Waser wi di g’wirim wajn
Gisn mir in sich arajn
Gisn mir in sich arajn

Ejns, tswej, draj, fir
Arbetlose senen mir
Jorn lang gearbet schwer
Un geschaft alts mer un mer
Hajser, schleser, schtet un lender
Far a hojfele farschwender
Undser lojn derfar is wos?
Hunger, nojt un arbetlos
Hunger, nojt un arbetlos

Ejns, tswej, draj, fir
Ot asoj marschirn mir
Arbetlose, schrit noch schrit
Un mir singen sich a lid
Fun a land, a welt a naje
Wu es lebn mentschn fraje
Arbetlos is kejn schum hant
In dem najen frajen land
In dem najen frajen land

Marche des chômeurs

Nous n’avons pas trouvé de traduction digne de ce nom. Avis aux avisés !

La danse des bombes

Oui barbare je suis
Oui j’aime le canon
La mitraille dans l’air
Amis, amis, dansons

La danse des bombes
Garde à vous voici les lions
Le tonnerre de la bataille gronde sur nous
Amis chantons, amis dansons
La danse des bombes
Garde à vous voici les lions
Le tonnerre de la bataille gronde sur nous
Amis chantons !

L’acre odeur de la poudre
Qui se mêle à l’encens
Ma voix frappant la voûte
Et l’orgue qui perd ses dents

La danse des bombes
Garde à vous voici les lions
Le tonnerre de la bataille gronde sur nous
Amis chantons, amis dansons
La danse des bombes
Garde à vous voici les lions
Le tonnerre de la bataille gronde sur nous
Amis chantons !

La nuit est écarlate
Trempez-y vos drapeaux
Aux enfants de Montmartre
La victoire ou le tombeau
Aux enfants de Montmartre
La victoire ou le tombeau !

Oui barbare je suis,
Oui j’aime le canon,
Oui mon cœur je le jette
À la révolution !

La danse des bombes
Garde à vous voici les lions
Le tonnerre de la bataille gronde sur nous
Amis chantons, amis dansons
La danse des bombes
Garde à vous voici les lions
Le tonnerre de la bataille gronde sur nous
Amis chantons !Oui mon cœur je le jette
À la révolution !
 

 

 

 

La Révolte
Nous sommes les persécutés
De tous les temps et de toutes les races
Toujours nous fûmes exploités
Par les tyrans et les rapaces
Mais nous ne voulons plus fléchir
Sous le joug qui courba nos pères
Car nous voulons nous affranchir
De ceux qui causent nos misèresRefrain :
Église, Parlement,
Capitalisme, État, Magistrature
Patrons et Gouvernants,
Libérons-nous de cette pourriture
Pressant est notre appel,
Donnons l’assaut au monde autoritaire
Et d’un cœur fraternel
Nous réaliserons l’idéal libertaireOuvrier ou bien paysan
Travailleur de la terre ou de l’usine
Nous sommes dès nos jeunes ans
Réduits aux labeurs qui nous minent
D’un bout du monde à l’autre bout
C’est nous qui créons l’abondance
C’est nous tous qui produisons tout
Et nous vivons dans l’indigenceL’État nous écrase d’impôts
Il faut payer ses juges, sa flicaille
Et si nous protestons trop haut
Au nom de l’ordre on nous mitraille
Les maîtres ont changé cent fois
C’est le jeu de la politique
Quels que soient ceux qui font les lois
C’est bien toujours la même cliqueL’engrenage encore va nous tordre :
Le capital est triomphant ;
La mitrailleuse fait de l’ordre
En hachant la femme et l’enfant.
L’Usure folle en ses colères
Sur nos cadavres calcinés
Soude à la grève des Salaires
La grève des assassinés.Pour défendre les intérêts
Des flibustiers de la grande industrie
On nous ordonne d’être prêts
À mourir pour notre patrie
Nous ne possédons rien de rien
Nous avons horreur de la guerre
Voleurs, défendez votre bien
Ce n’est pas à nous de le faire

Bandidos rurales

Nacido en Santa Fe en 1894,
Cerca de Cañada, de inmigrantes italianos
Juan Bautista lo llamaron, de apellido Vairoletto
Bailarín sagaz, desafiante y mujeriego
Winchester en el recado, dos armas cortas también,
Un cuchillo atrás y un caballo alazán
Raya al medio con pañuelo, tatuaje en la piel,
Quedó fuera de la ley, quedó fuera de la ley

Se enamoró de la mujer que pretendía un policía
Lo golpeó, lo puso preso un tal Farach Elías
”Andate de Castex” le dijo, “aquí tenemos leyes”
Corría el año 1919
Antes de irse, fue al boliche a verlo al fulano
Con un 450 belga, revólver en mano
Le agujereó el cuello y lo dejó tirado ahí
Ahora sí fuera de la ley, ahora sí fuera de la ley

Bandidos rurales, difícil de atraparles
Jinetes rebeldes por vientos salvajes
Bandidos rurales, difícil de atraparles
Igual que alambrar estrellas en tierra de nadie

Por el mismo tiempo hubo otro bandolero
Por hurtos y vagancia, 19 veces preso
Al penal de Resistencia lo extradita el Paraguay
Allí conoce a Zamacola y Rossi por el 26
1897 en Monteros, Tucumán,
El día 3 de marzo lo dan por bien nacido
Segundo David Peralta, alias Mate Cocido,
También fuera de la ley, también fuera de la ley

Entre Campo Largo y Pampa del Infierno
El pagador de Bunge y Born le da 6000 por no ser muerto
Gran asalto al tren del Chaco, monte de Saenz Peña,
Anderson y Clayton firma algodonera
45.000 a Dreyfus le sacaron sin violencia
El gerente Ward de Quebrachales 13.000 le entrega
Secuestró a Negroni, Garbarini y Berzon
Resistió fuera de la ley, resistió fuera de la ley

Estribillo

Vairoletto cae en Colonia San Pedro de Atuel,
El ultimo balazo se lo pega él
Vicente Gascón, gallego de 62,
Con su vida en Pico pagó aquella traición
Sol, arena y soledad, cementerio de Alvear,
En su tumba hay flores, velas y placas de metal
El ultimo romántico lo llora Telma, su mujer,
Muere fuera de la ley, muere fuera de la ley

No sabrán de mí, no entregaré mi cuerpo herido,
Quitilipi, Machagai, ¿donde está Mate Cocido?
Corría el 36 y lo quieren vivo o muerto
2.000 de recompensa, se callan los hacheros
Logró romper el cerco de Solveyra, un torturador
De Gendarmería que tenía información
Herminia y Ramona dudan que lo hayan matado
A este fuera de la ley, a este fuera de la ley

Estribillo
En un lugar neutral, creo que por Buenos Aires,
Se conocen dos hermanos de este barro, de esta sangre,
Dejan un pedazo del pasado aquí sellado
Y deciden golpear al que se roba el quebrachal
Por eso las dos bandas cerquita de Cote Lai
Mataron a un tal Mieres, mayordomo de La Forestal
Se rompió el silencio en balas, robo que no pudo ser
Dos fuera de la ley, los dos fuera de la ley

Martina Chapanay, bandolera de San Juan,
Juan Cuello, Juan Moreira, Gato Moro y Brunel,
El Tigre de Quequén, Guayama y Bazan Frías,
Barrientos y Velázquez, Calandria y Cubillas,
Gaucho Gil, José Dolores, Gaucho Lega y Alarcón,
Bandidos populares de leyenda y corazón
Queridos por anarcos, pobres y pupilas de burdel
Todos fuera de la ley, todos fuera de la ley

Estribillo

Nous n’avons pas trouvé de traduction digne de ce nom. Avis aux avisés !


Annexe 1.

Notes sur le courant maximaliste, en Russie.

Durant le 19ème siècle, beaucoup de mouvements prolétariens se sont donnés comme nom : socialistes-révolutionnaires. Notre classe sociale a toujours et partout tenté de se centraliser, se renforcer. Beaucoup d’expressions révolutionnaires nous sont encore regrettablement inconnues. Et le resteront peut-être toujours.
Comment nommer nos luttes, nos organisations, nos mouvements, qu’inscrire sur nos drapeaux, etc., sont des questions importantes et qui font partie de la lutte… aussi vrai que la contre-révolution, elle, essaiera de dénaturer nos luttes, en travestissant-déformant-récupérant nos mots d’ordre, nos appellations, nos organisations, nos symboles, etc. L’exemple le plus parlant est certainement l’appellation « communisme » qui renvoie inéluctablement chez l’immense majorité des prolétaires à… léninisme, stalinisme, maoïsme, trotskysme, etc. C’est bien toujours nous qui faisons l’histoire et la bourgeoisie qui l’écrit !
Ces notes veulent lever un voile sur l’histoire d’un des courants révolutionnaires de notre classe, en Russie, connu comme « maximaliste ». Les traces écrites qui parlent de ce courant sont rares, fragmentaires et parfois confuses. Ces notes tentent un résumé, que d’autres camarades pourront utiliser, améliorer, compléter.
Petit rappel de l’effort organisatif du prolétariat en Russie, à la fin du 19ème siècle, sur l’impulsion, entre autre, du camarade Bakounine, qui affirmait, en 1873 :
« Nous n’avons pas de patrie. Notre patrie est la Révolution mondiale. Nous n’avons pas d’autre ennemi que la domination sous toutes ses formes : religieuse, doctrinaire, politique, économique, sociale. »[1]
Le mouvement de contestation de ce monde, sous l’appellation dite populiste (narodnik), produira les efforts organisatifs de différents groupes clandestins de militants, les Narodniki. Suite à l’augmentation de la misère qu’a constituée l’abolition du servage, en 1861, ces groupes vont se centraliser et créer, en 1876, Terre et Liberté, Zemlia i Volia.
Une scission importante a lieu, en 1879, et voit deux groupes se former :
Volonté du peuple, Narodnaïa Volia, qui se donne comme tâche de tuer le Tsar, ce qui est fait le 1er mars 1881.
Partage noir, Tcherny Peredel, plus critique du terrorisme exemplatif, plus pacifiste, et qui ira vers le marxisme, en particulier avec Plekhanov.
Il est très important de garder à l’esprit la vitalité des réactions prolétariennes, dites paysannes, contre l’exploitation, en Russie, au 19ème siècle. Voici une citation qui relativise l’apathie serve des moujiks, tant décrite et décriée par les intellectuels social-démocrates de tous pays :
 « Les soulèvements se poursuivirent régulièrement tout au long du temps du servage. Sous le règne de Nicolas 1er, entre 1826 et 1854, il y en eut 556 ! Certains durent être réprimés militairement à coups de canons et de fusillades, alors que les insurgés ne disposaient quasiment pas d’armes à feu. De 1855 à 1861, il y en eut 474. A la nouvelle de l’émancipation, il y en eut 784, dont 337 réprimés par la troupe dans 2304 villages. En 1867, il y eut encore 338 émeutes dans 793 villages, puis vint une accalmie jusqu’en 1902. »[2]
Cette vitalité renaîtra en 1905 et en 1917. En attendant, les deux courants dessinés en 1879, après une période noire de contre-révolution active, grâce aux efforts de l’Okhrana, vont évoluer vers deux familles politiques :
– Des groupes de révolutionnaires, épars localement, tentent de s’unifier dans un seul parti, et créent en 1896, à Saratov, L’Union des socialistes-révolutionnaires, sous l’impulsion d’Argounov.
– En 1897, à Kharkov, est fondé le Parti socialiste-révolutionnaire (PSR), qui publie un Manifeste assez tiède et d’inspiration social-démocrate, avec une distinction entre les programmes minimum et maximum… ce dernier étant relégué à plus tard. Les leaders (Gotz, Guerchouni, Tchernov… et l’agent de l’Okhrana, Azev !) sont éparpillés aux quatre coins de l’immense empire russe, mais surtout en exil ou en Sibérie.
Parallèlement, la social-démocratie s’organise :
« En 1898, le courant révolutionnaire de tendance marxiste aboutit à la formation du Parti Ouvrier Social-Démocrate Russe (le premier groupe social-démocrate, sous le nom d’Emancipation du Travail, fut fondé en 1883. »[3]
Ces notes ne s’intéressent pas ici à l’activité des révolutionnaires, connus sous l’appellation anarchiste ou anarchiste-communiste, dont les premiers groupes se créent aux alentours du début du 20ème siècle, dans l’empire russe. Il est évident que notre classe en lutte a produit, à cette époque, nombre de groupes, de structures, provisoires, contradictoires, etc., mais tournées vers l’organisation, la révolution. Un exemple, parmi d’autres inconnus à ce jour, sont les groupes de révolutionnaires autour du camarade Makhaïski, qui, quand il n’est pas en prison ou au bagne, tente de développer l’action directe, avec des groupes de militants se réclamant de ses positions :
« On possède peu d’informations sur ces groupes, on sait seulement que leur activité déboucha souvent sur une collaboration avec les groupes anarchistes, et qu’ils se livrèrent, comme la plupart des autres révolutionnaires, à l’action directe contre le tsarisme et ses sbires, avant d’être anéantis par la vague répressive des années 1906-08. »[4]
En 1905, sous l’impulsion de la lutte de classe, des militants (Lozinski, Sokolov) rompent avec la ligne générale du PSR et fondent, une Union des socialistes-révolutionnaires maximalistes… connus dorénavant sous l’appellation Maximalistes.
« Dans leur organe Kommuna (Commune), les maximalistes exposèrent, dès 1905, que la révolution sociale conduirait ‘à un état voisin de l’égalité économique grâce à l’expropriation forcée du sol, des fabriques, des ateliers’»[5]
Commentaire de Voline :
« Pour compléter l’exposé des divers courants d’idées qui se manifestèrent lors de cette Révolution, signalons que le Parti SR donna naissance, vers la même époque, à une troisième tendance qui, s’étant détaché du Parti, adopta l’idée de devoir supprimer, dans la révolution en cours, non seulement l’Etat bourgeois, mais tout Etat en général (en tant qu’institution politique). Ce courant d’idées était connu en Russie sous le nom de maximalisme car ses partisans, ayant rejeté le programme minimum, rompirent même avec les SR de gauche et proclamèrent la nécessité de lutter immédiatement pour la réalisation totale du programme maximum, c’est-à-dire pour le socialisme intégral, édifié sur une base apolitique. »[6]
Assumation de la terreur prolétarienne, rejet et critique des groupes et des idéologies social-démocrates seront la principale activité des maximalistes… qui, depuis leur création, en 1905, lutteront avec les anarchistes, les communistes-anarchistes et tous ceux qui, quelle que soit leur appellation, se situent sur un terrain de classe.[7] Derrière les étiquettes c’est la vie réelle de notre classe qui nous importe. La citation suivante synthétise la lutte des minorités classistes contre tous les partis, groupes, mouvements… social-démocrates :
« Les S-D s’opposaient aux expropriations[8] comme au ‘terrorisme politique’ (centralisé) des socialistes-révolutionnaires, et tous deux s’opposaient avec virulence à la pratique du ‘terrorisme politique, agraire et industriel’ (diffus) des anarchistes. »[9] et [10]
Ces minorités maximalistes, anarchistes, anarcho-communistes, etc., étaient la réelle émanation de la lutte du prolétariat et impulsaient une direction révolutionnaire, dans laquelle la masse des ouvriers se reconnaissaient, lors des périodes de lutte. Un dernier exemple qui nous fait dire que, décidément, il est vraiment indispensable de se pencher sur l’activité pratique, réelle de notre classe :
« Des actions d’éclat sont accomplies par le Groupe international de combat des anarchistes-communistes en Ukraine : Serge Borissov, ex-SR, rallié à l’anarchisme, fait évader en 1907 des marins du Potemkine condamnés à mort. »[11]
Le PSR revendique uniquement les assassinats d’hommes politiques, effectués par sa propre Organisation de combat, dans une démarche « réformiste armée », mais condamne « … l’élimination de patrons ou de propriétaires terriens, et même l’expropriation de leurs biens. »[12]
Une autre citation corrobore cette politique réformiste armée :
« De fait, les révolutionnaires russes ne concevaient le terrorisme que dans le cadre d’une lutte contre le despotisme. En 1881, lorsque fut assassiné le président américain Garfield, il déclare :
‘Au nom du parti révolutionnaire russe, nous protestons contre cet acte criminel. Dans un pays où la liberté des citoyens leur permet d’exposer librement leurs idées, où la volonté du peuple fait non seulement les lois mais aussi la personne chargée de les appliquer, l’assassinat politique est l’expression d’une tendance despotique semblable à celle que nous voulons abattre en Russie. Le despotisme est toujours condamnable et la violence ne se justifie que quand elle s’oppose à la violence.’
Le PSR se référa mainte fois à cette prise de position pour se défendre des accusations de terrorisme systématique. »[13]
Nous ne doutons cependant pas que des milliers de prolétaires se soient reconnus dans le PSR et sa pratique terroriste, qui, même ciblée dans un but politicien de changement de régimes… n’en éliminait pas moins des terroristes d’Etat, des bourgeois haïs, des ennemis de classe.
Mais il est important de considérer que, depuis l’arrêt de la politique « terroriste » du PSR, suite à la découverte de l’espion tsariste Azev et le déclin de la lutte des classes, en 1907, les actes de terreur prolétarienne, sous l’étiquette PSR, seront l’effet de groupes dissidents de la direction, qui insistera dorénavant sur le syndicalisme.
« En effet, dès l’aube de 1908, on pouvait compter sur les doigts les régions dans lesquelles les organisations du PSR tenaient encore debout. »[14]
La haine des partis S-D envers les anars et les maximalistes est énorme, à cause de l’influence de ceux-ci sur leur chasse gardée, les prolétaires combatifs, ainsi que les militants les plus clairs, attirés par une pratique révolutionnaire, qui les rejoignent.
« Partout le processus était identique : une poignée de sociaux-démocrates ou de S.R. déçus fondaient un petit cercle d’anarchistes ; on s’arrangeait pour faire venir des brochures d’Occident, ou bien on se les faisait envoyer de Riga, de Bialystok, d’Ekaterinoslav, d’Odessa ou d’un autre centre de propagande, et on les distribuait aux ouvriers et aux étudiants de la région ; d’autres cercles se formaient, et rapidement on organisait des fédérations qui se lançaient dans les divers types d’action radicale : agitation, manifestations, grèves, vols et assassinats. »[15]
Il en va de même pour les organisations maximalistes… dont l’appellation « maximaliste » a été utilisée pour dénommer tous ceux qui assumaient la violence prolétarienne, qu’ils se définissent anarchistes, anarchistes-communistes ou maximalistes.
Un exemple dans cet extrait d’un texte de Lozio Virgilio, de septembre 1907 :
« La révolution russe, répétons-le, a dépassé les carcans étroits des programmes politiques, elle s’est affirmée d’une manière économique, elle a frustré en partie les aspirations des amants du pouvoir, y compris le plus libéral. Nous en sommes ravis. Que les adversaires du ‘maximalisme’ en fassent leur deuil. »[16]
Il y a donc bien une « légende » maximaliste, à qui on (pas uniquement la presse bourgeoise) attribuait toute action violente… parallèlement aux groupes qui se sont effectivement appelés ainsi de 1905 à 1909. Ce même phénomène va aussi se reproduire dans les années ‘20, en Allemagne avec Max Hölz et Karl Plättner…
Un document intéressant (un rapport de police), en septembre 1907, donne les chiffres suivants des émigrés politiques à Paris :
« Partisans de toute violence :
– Anarchistes :
individualistes : 100.
communistes : 450.
– Révolutionnaires :
maximalistes : 200.
socialistes-révolutionnaires : 700. »[17]
En 1906, une rupture de droite se fit au sein du PSR, avec un Parti socialiste populiste (PSP), dont Kerenski sera sympathisant… qui reprendra force en 1917, au sein du Gouvernement provisoire.
En bref, les groupes et les militants dit maximalistes vont disparaître vers 1908-09 ou bien se fondre dans les organisations anarchistes ou anarchistes-communistes. Un exemple :
« L’assassinat, le 1er septembre 1911 à Kiev, de Stolypine par Dimitri Bogrov fut toujours récusé par le PSR. Bogrov s’était déclaré anarchiste, puis S-R. Selon Paul Avrich, Bogrov avait effectivement fait partie, en 1907, du groupe anarcho-communiste de Kiev. »[18]
Il y aura une branche, dite des Internationalistes, issue du PSR (Natanson, Tchernov) qui représentera la gauche à la conférence de Zimmerwald (avec Lénine), en 1915.
En 1917, l’ossature des SR au Gouvernement Provisoire vient du PSR « officiel », dont le programme a toujours été d’occuper le pouvoir. C’est d’ailleurs Tchernov (ministre SR de l’agriculture) que Trotsky sauvera in extremis des mains de prolétaires enragés, en juillet 17… et qu’on retrouvera président de la Constituante, en janvier 1918 ! Dorénavant, à partir de mars 1917, ce seront les SR qui enverront les flics contre les grévistes !
En août 1917, les SR de gauche (Spiridonova, Kamkov, Natanson, Steinberg… Fanny Kaplan !) vont rompre avec le PSR, au pouvoir, jusqu’à leur liquidation par les Bolcheviks, en 1918. Il reste à évaluer la collusion SR de gauche-Bolcheviks, d’octobre 1917 à mars 1918…
Léonard Shapiro nous éclaire sur le processus qui va amener cette aile gauche à se détacher du PSR :
« Après le mois de mai 1917, les internationalistes de Martov[19] et l’aile gauche des Sociaux-Révolutionnaires gagnèrent rapidement de nouveaux adeptes… »[20]
Il y a donc un courant qui se radicalise et tente de se situer sur un terrain de classe, mais pas de groupe « maximaliste » à proprement parlé.
Paul Avrich rapporte une information importante :
« Sur les 167 délégués de la Conférence panrusse des comités d’usines (17-22 octobre), on comptait 96 bolcheviks, 24 S.R., 13 anarchistes et 7 mencheviks. »[21]
Des SR de gauche bien sûr.
Nouvelle info qui tente d’éclairer un peu le parcours obscurs des camarades maximalistes :
« En 1905 les socialistes-révolutionnaires à tendance anarchiste firent scission, prirent le nom de Maximalistes, et quand le parti en novembre 1917 se scinda en une droite et une gauche, ils s’unirent à cette dernière, ce qui toutefois entraîna une nouvelle scission chez les Maximalistes. »[22]
Il y avait donc en novembre 1917 des militants organisés sous l’appellation « maximaliste » ?
Avrich, voulant caractériser des militants non affiliés aux groupes bolcheviks ou anarchistes (anarcho-syndicalistes ou anarcho-bolcheviques), parle « d’éléments de gauche »… veut-il parler de ces « maximalistes » ?
Parmi les forces sociales organisées, à Petrograd, en 1917, outre les divers courants anarchistes, il y a aussi le petit groupe des Mejdouraïontsy (inter-rayons) que Trotsky avait formé en 1912, qu’il réactive à son retour en mai… et qu’il intègre au parti bolchevik début août, en s’affiliant à ce même parti. Ces militants deviendront vite de bons petits soldats bolcheviques : Ioffé, Lounatcharsky, Yurénev, Riazanov, etc.
Pas de conclusion à ces notes, sinon la redite qu’il faut se pencher sur l’histoire réelle des minorités révolutionnaires, qui à l’instar des maximalistes, n’ont eu de cesse de se situer sur un terrain de classe, contre les groupes social-démocrates qui les combattaient.
[1] Archives Bakounine : Michel Bakounine et ses relations slaves, 1870-1875. Editions Champ Libre.
[2] Alexandre Skirda : Les anarchistes russes, les soviets et la révolution de 1917. 2000.
[3] Voline : La révolution inconnue. Tome 1.
[4] Alexandre Skirda : Jan Waclav Makaïski. Le socialisme des intellectuels. 1979.
[5] Jacques Baynac, dans son ouvrage : Les socialistes-révolutionnaires, 1979, donne peu de renseignements sur ces maximalistes (4 pages)… mais son démocratisme lui fait comparer la terreur ouvrière assumée par les maximalistes avec celle des bolcheviks, futurs staliniens !
[6] Voline, opus cit.
[7] Des noms de groupes sont arrivés jusqu’à nous : Vengeurs révolutionnaires, Groupe Conspiration Anarchiste, Groupe des Révolutionnaires-Terroristes, Groupe des Syndicalistes-Maximalistes, Les Intransigeants, etc.
[8] D’audacieuses expropriations procurent 850.000 roubles puis 400.000 roubles aux Maximalistes, dès 1906… argent mis au service de l’organisation de la lutte.
[9] Vive la révolution, à bas la démocratie ! (Mutines séditions, 2016).
[10] Le PSR et les Bolcheviks (dont le fameux Kamo) aussi pratiquaient ponctuellement les expropriations, mais 1- en cachette, sans l’avouer, ce qui laissait la répression cibler ceux qui s’en revendiquaient et 2- l’argent servait à renforcer leur pratique désorganisatrice, démagogique et contre-révolutionnaire.
[11] Skirda, opus cit.
[12] Mutines séditions, opus cit.
[13] Jacques Baynac, opus cit.
[14] Jacques Baynac, opus cit.
[15] Paul Avrich : Les anarchistes russes, 1979.
[16] Mutines séditions, opus cit.
[17] Mutines séditions, opus cit.
[18] Jacques Baynac, opus cit.
[19] Ceux-ci ne rompront pas avec leur parti menchevik.
[20] Léonard Shapiro Les origines de l’absolutisme communiste, 1957.
[21] Paul Avrich, opus cit.
[22] Arthur Lenning Anarchisme et marxisme dans la révolution russe, 1929.


Annexe 2.

Manifeste des Seize (février 1916)

De divers côtés, des voix s’élèvent pour demander la paix immédiate. Assez de sang versé, assez de destruction, dit-on, il est temps d’en finir d’une façon ou d’une autre. Plus que personne et depuis bien longtemps, nous avons été dans nos journaux, contre toute guerre d’agression entre les peuples et contre le militarisme, de quelque casque impérial ou républicain qu’il s’affuble. Aussi serions-nous enchantés de voir les conditions de paix discutées si cela se pouvait par les travailleurs européens, réunis en un congrès international.
D’autant plus que le peuple allemand s’est laissé tromper en août 1914, et s’il a cru réellement qu’on se mobilisait pour la défense de son territoire, il a eu le temps de s’apercevoir qu’on l’avait trompé pour le lancer dans une guerre de conquêtes.
En effet, les travailleurs allemands, du moins dans leurs groupements, plus ou moins avancés, doivent comprendre maintenant que les plans d’invasion de la France, de la Belgique, de la Russie avaient été préparés de longue date et que, si cette guerre n’a pas éclaté en 1875, en 1886, en 1911 ou en 1913, c’est que les rapports internationaux ne se présentaient pas alors sous un aspect aussi favorable et que les préparatifs militaires n’étaient pas assez complets pour promettre la victoire à l’Allemagne (lignes stratégiques à compléter, canal de Kiel à élargir, grands canons de siège à perfectionner). Et maintenant, après vingt mois de guerre et de pertes effroyables, ils devraient bien s’apercevoir que les conquêtes faites par l’armée allemande ne pourront être maintenues. D’autant plus qu’il faudra reconnaître ce principe (déjà reconnu par la France en 1859, après la défaite de l’Autriche) que c’est la population de chaque territoire qui doit exprimer si elle consent ou non à être annexée.
Si les travailleurs allemands commencent à comprendre la situation comme nous la comprenons, et comme la comprend déjà une faible minorité de leurs sociaux-démocrates et s’ils peuvent se faire écouter par leurs gouvernants, il pourrait y avoir un terrain d’entente pour un commencement de discussion concernant la paix. Mais alors il devraient déclarer qu’ils se refusent absolument à faire des annexions, ou à les approuver ; qu’ils renoncent à la prétention de prélever des « contributions » sur les nations envahies, qu’ils reconnaissent le devoir de l’Etat allemand de réparer, autant que possible les dégâts matériels causés par les envahisseurs chez leurs voisins, et qu’ils ne prétendent pas leur imposer des conditions de sujétion économique, sous le nom de traités commerciaux. Malheureusement, on ne voit pas, jusqu’à présent, des symptômes de réveil, dans ce sens, du peuple allemand.
On a parlé de la conférence de Zimmerwald, mais il a manqué à cette conférence l’essentiel : la représentation des travailleurs allemands. On a aussi fait beaucoup de cas de quelques rixes qui ont eu lieu en Allemagne, à la suite de la cherté des vivres. Mais on oublie que de pareilles rixes ont toujours eu lieu pendant les grandes guerres, sans en influencer la durée. Aussi, toutes les dispositions prises, en ce moment, par le gouvernement allemand, prouvent-elles qu’il se prépare à de nouvelles agressions au retour du printemps. Mais comme il sait aussi qu’au printemps les Alliés lui opposeront de nouvelles armées, équipées d’un nouvel outillage, et d’une artillerie bien plus puissante qu’auparavant, il travaille aussi à semer la discorde au sein des populations alliées. Et il emploie, dans ce but un moyen aussi vieux que la guerre elle-même : celui de répandre le bruit d’une paix prochaine, à laquelle il n’y aurait, chez les adversaires, que les militaires et les fournisseurs des armées pour s’y opposer. C’est à quoi s’est appliqué Bülow, avec ses secrétaires, pendant son dernier séjour en Suisse.
Mais à quelles conditions suggère-t-il de conclure la paix ?
La Neue Zürcher Zeitung croit savoir – et le journal officiel, la Nord-deutsche Zeitung, ne la contredit pas – que la plupart de la Belgique serait évacuée, mais à la condition de donner des gages de ne pas répéter ce qu’elle a fait en août 1914, lorsqu’elle s’opposa au passage des troupes allemandes. Quels seraient ces gages ? Les mines de charbon belges ? Le Congo ? On ne le dit pas. Mais on demande déjà une forte contribution annuelle. Le territoire conquis en France serait restitué, ainsi que la partie de la Lorraine où on parle français. Mais en échange, la France transférerait à l’Etat allemand tous les emprunts russes, dont la valeur se monte à dix-huit milliards. Autrement dit, une contribution de dix-huit milliards qu’auraient à rembourser les travailleurs agricoles et industriels français, puisque ce sont eux qui paient les impôts. Dix-huit milliards pour racheter dix départements, que, par leur travail, ils avaient rendus si riches et si opulents, et qu’on leur rendra ruinés et dévastés.
Quant à savoir ce que l’on pense en Allemagne des conditions de la paix, un fait est certain : la presse bourgeoise prépare la nation à l’idée de l’annexion pure et simple de la Belgique et des départements du nord de la France. Et, il n’y a pas, en Allemagne, de force capable de s’y opposer. Les travailleurs, qui auraient dû élever leur voix contre les conquêtes, ne le font pas. Les ouvriers syndiqués se laissent entraîner par la fièvre impérialiste, et le parti social-démocrate – trop faible pour influencer les décisions du gouvernement concernant la paix même s’il représentait une masse compacte – se trouve divisé, sur cette question, en deux partis hostiles, et la majorité du parti marche avec le gouvernement. L’empire allemand, sachant que ses armées sont, depuis dix-huit mois, à 90 km de Paris, et soutenu par le peuple allemand dans ses rêves de conquêtes nouvelles, ne voit pas pourquoi il ne profiterait pas des conquêtes déjà faites. Il se croit capable de dicter des conditions de paix qui lui permettraient d’employer les nouveaux milliards de contribution à de nouveaux armements, afin d’attaquer la France quand bon lui semblera, lui enlever ses colonies, ainsi que d’autres provinces, et de ne plus avoir à craindre sa résistance.
Parler de paix en ce moment, c’est faire précisément le jeu du parti ministériel allemand, de Bülow et de ses agents. Pour notre part, nous nous refusons absolument à partager les illusions de quelques-uns de nos camarades, concernant les dispositions pacifiques de ceux qui dirigent les destinées de l’Allemagne. Nous préférons regarder le danger en face et chercher ce qu’il y a à faire pour y parer. Ignorer ce danger serait l’augmenter.
En notre profonde conscience, l’agression allemande était une menace, mise à exécution non seulement contre nos espoirs d’émancipation mais contre toute l’évolution humaine. C’est pourquoi nous, anarchistes, nous, antimilitaristes, nous, ennemis de la guerre, nous, partisans passionnés de la paix et de la fraternité des peuples, nous nous sommes rangés du côté de la résistance et nous n’avons pas cru devoir séparer notre sort de celui du reste de la population. Nous ne croyons pas nécessaire d’insister que nous aurions préféré voir cette population prendre, en ses propres mains, le soin de sa défense. Ceci ayant été impossible, il n’y avait qu’à subir ce qui ne pouvait être changé. Et avec ceux qui luttent nous estimons que, à moins que la population allemande, revenant à de plus saines notions de la justice et du droit, renonce enfin à servir plus longtemps d’instrument aux projets de domination politique pangermaniste, il ne peut être question de paix. Sans doute, malgré la guerre, malgré les meurtres, nous n’oublions pas que nous sommes internationalistes, que nous voulons l’union des peuples, la disparition des frontières. Et c’est parce que nous voulons la réconciliation des peuples, y compris le peuple allemand, que nous pensons qu’il faut résister à un agresseur qui représente l’anéantissement de tous nos espoirs d’affranchissement.
Parler de paix tant que le parti qui, pendant quarante-cinq ans, a fait de l’Europe un vaste camp retranché, est à même de dicter ses conditions, serait l’erreur la plus désastreuse que l’on puisse commettre. Résister et faire échouer ses plans, c’est préparer la voie à la population allemande restée saine et lui donner les moyens de se débarrasser de ce parti. Que nos camarades allemands comprennent que c’est la seule issue avantageuse aux deux côtés et nous sommes prêts à collaborer avec eux.
Pressés par les événements de publier cette déclaration, lorsqu’elle fut communiquée à la presse française et étrangère, quinze camarades seulement, dont les noms suivent, en avaient approuvé le texte : Christian Cornelissen, Henri Fuss, Jean Grave, Jacques Guérin, Pierre Kropotkine, A. Laisant. F. Le Lève (Lorient), Charles Malato, Jules Moineau (Liège), A. Orfila, M. Pierrot, Paul Reclus, Richard (Algérie), Tchikawa (Japon), W. Tcherkesoff.
* Note : une centaine de militants connus s’associeront à ce Manifeste.

Déclaration anarchiste de Londres (avril 1916)
Réponse du Groupe Anarchiste International de Londres
Voici bientôt deux ans que s’est abattu sur l’Europe le plus terrible fléau qu’ait enregistré l’histoire, sans qu’aucune action efficace ne soit venue entraver sa marche. Oublieux des déclarations de naguère, la plupart des chefs des partis les plus avancés, y compris la plupart des dirigeants des organisations ouvrières, les uns par lâcheté, les autres par manque de conviction, d’autres encore par intérêt, se sont laissés absorber par la propagande patriotique, militariste et belliciste, qui, dans chaque nation belligérante, s’est développée avec une intensité que suffisent à expliquer la situation et la nature de la période que nous traversons.
Quant au peuple, dans sa grande masse, dont la mentalité est faite par l’Ecole, l’Eglise, le régiment, la presse, c’est-à-dire ignorant et crédule, dépourvu d’initiative, dressé à l’obéissance et résigné à subir la volonté des maîtres qu’il se donne, depuis celle du législateur, jusqu’à celle du secrétaire de syndicat, il a, sous la poussée des bergers d’en haut et d’en bas réconciliés dans la plus sinistre des besognes, marché sans rébellion à l’abattoir, entraînant par la force de son inertie même les meilleurs en son sein, qui n’évitaient la mort au poteau d’exécution qu’en risquant la mort sur le champ de carnage.
Toutefois, dès les premiers jours, dès avant la déclaration de guerre même, les anarchistes de tous les pays, belligérants ou neutres, sauf quelques rares exceptions, en nombre si infime qu’on pouvait les considérer comme négligeables, prenaient nettement parti contre la guerre. Dès le début, certains des nôtres, héros et martyrs qu’on connaîtra plus tard, ont choisi d’être fusillés, plutôt que de participer à la tuerie ; d’autres expient, dans les geôles impérialistes ou républicaines, le crime d’avoir protesté et tenté d’éveiller l’esprit du peuple.
Avant la fin de l’année 1914, les anarchistes lançaient un manifeste qui avait recueilli l’adhésion de camarades du monde entier, et que reproduisirent nos organes dans les pays où ils existaient encore. Ce manifeste montrait que la responsabilité de l’actuelle tragédie incombait à tous les gouvernants sans exception et aux grands capitalistes, dont ils sont les mandataires, et que l’organisation capitaliste et la base autoritaire de la société sont les causes déterminantes de toute guerre. Et il venait dissiper l’équivoque créée par l’attitude de ces quelques « anarchistes bellicistes », plus bruyants que nombreux, d’autant plus bruyants que, servant la cause du plus fort, leur ennemi d’hier, notre ennemi de toujours, l’Etat, il leur était permis, à eux seuls, de s’exprimer ouvertement, librement.
Des mois passèrent, une année et demie s’écoula et ces renégats continuaient paisiblement, loin des tranchées, à appeler au meurtre stupide et répugnant, lorsque, le mois dernier, un mouvement en faveur de la paix commençant à se préciser, les plus notoires d’entre eux jugèrent devoir accomplir un acte retentissant, à la fois dans le dessein de contrecarrer cette tendance à imposer aux gouvernants la cessation des hostilités, et pour que l’on pût croire, et faire croire, que les anarchistes s’étaient ralliés à l’idée et au fait de la guerre.
Nous voulons parler de cette déclaration publiée à Paris, dans La Bataille du 14 mars signée de Christian Cornelissen, Henri Fuss, Jean Grave, Jacques Guérin, Hussein Dey, Pierre Kropotkine, A. Laisant, F. Leve, Charles Malato, Jules Moineau, A. Orfila, M. Pierrot, Paul Reclus, Richard, S. Shikawa, M. Tcherkesoff, et à laquelle a applaudi naturellement la presse réactionnaire.
Il nous serait facile d’ironiser à propos de ces camarades d’hier, voire de nous indigner du rôle joué par eux, que l’âge ou leur situation particulière, ou encore leur résidence, met à l’abri du fléau et qui, cependant, avec une inconscience ou une cruauté que même certains conservateurs de l’ordre social actuel n’ont pas, osent écrire, alors que de tous côtés se sent la lassitude et pointe l’aspiration vers la paix, osent écrire disons-nous, que parler de paix à l’heure présente serait l’erreur la plus désastreuse que l’on puisse commettre et qui tranchent : Avec ceux qui luttent, nous estimons qu’il ne peut être question de paix. Or nous savons, et ils n’ignorent pas non plus, ce que pensent ceux qui luttent. Nous savons ce que désirent ceux qui vont mourir pour mieux dire ; tout en ne nous dissimulant pas que les causes qui engendrent leur faiblesse, les entraîneront peut-être à mourir sans qu’ils aient tenté le geste qui les sauverait. Nous, nous laissons ces camarades d’hier à leurs nouvelles amours.
Mais ce que nous voulons, ce à quoi nous tenons essentiellement, c’est protester contre la tentative qu’ils font, d’englober, dans l’orbite de leurs pauvres spéculations néo-étatistes, le mouvement anarchiste mondial et la philosophie anarchiste elle-même ; c’est protester contre leur essai de solidariser avec leur geste, aux yeux du public non éclairé, l’ensemble des anarchistes restés fidèles à un passé qu’ils n’ont aucune raison de renier, et qui croient, plus que jamais, à la vérité de leurs idées.
Les anarchistes n’ont pas de leaders, c’est-à-dire pas de meneurs. Au surplus, ce que nous venons affirmer ici, ce n’est pas seulement que ces seize signatures sont l’exception et que nous sommes le nombre, ce qui n’a qu’une importance relative, mais que leur geste et leurs affirmations ne peuvent en rien se rattacher à notre doctrine dont ils sont, au contraire, la négation absolue.
Ce n’est pas ici le lieu de détailler, phrase par phrase, cette déclaration, pour analyser et critiquer chacune de ses affirmations. D’ailleurs elle est connue. Qu’y trouve-t-on ? Toutes les niaiseries nationalistes que nous lisons, depuis près de deux années, dans une presse prostituée, toutes les naïvetés patriotiques dont ils se gaussaient jadis, tous les clichés de politique extérieure avec lesquels les gouvernements endorment les peuples. Les voilà dénonçant un impérialisme qu’ils ne découvrent maintenant que chez leurs adversaires. Comme s’ils étaient dans le secret des ministères, des chancelleries et des états-majors, ils jonglent avec les chiffres d’indemnités, évaluent les forces militaires et refont, eux aussi, ces ex-contempteurs de l’idée de patrie, la carte du monde sur la base du droit des peuples et du principe des nationalités. Puis, ayant jugé dangereux de parler de paix, tant qu’on n’a pas, pour employer la formule d’usage, écrasé le seul militarisme prussien, ils préfèrent regarder le danger en face, loin des balles. Si nous considérons synthétiquement, plutôt, les idées qu’exprime leur déclaration, nous constatons qu’il n’y a aucune différence entre la thèse qui y est soutenue et le thème habituel des partis de l’autorité groupés, dans chaque nation belligérante, en Union sacrée. Eux aussi, ces anarchistes repentis, sont entrés dans l’Union sacrée pour la défense des fameuses libertés acquises, et ils ne trouvent rien de mieux, pour sauvegarder cette prétendue liberté des peuples dont ils se font les champions, que d’obliger l’individu à se faire assassin et à se faire assassiner pour le compte et au bénéfice de l’Etat. En réalité, cette déclaration n’est pas l’œuvre d’anarchistes. Elle fut écrite par des étatistes qui s’ignorent, mais par des étatistes. Et suite à cette œuvre inutilement opportuniste, rien ne différencie plus ces ex-camarades des politiciens, des moralistes et des philosophes de gouvernement, contre lesquels ils avaient consacré toute leur vie à lutter.
Collaborer avec un Etat, avec un gouvernement, dans sa lutte, fût-elle même dépourvue de violence sanguinaire, contre un autre Etat, contre un autre gouvernement, choisir entre deux modes d’esclavage, qui ne sont que superficiellement différents, cette différence superficielle étant le résultat de l’adaptation des moyens de gouvernement à l’état d’évolution auquel est parvenu le peuple qui y est soumis, voilà, certes, qui n’est pas anarchiste. À plus forte raison, lorsque cette lutte revêt l’aspect particulièrement ignoble de la guerre. Ce qui a toujours différencié l’anarchiste des autres éléments sociaux dispersés dans les divers partis politiques, dans les diverses écoles philosophiques ou sociologiques, c’est la répudiation de l’Etat, faisceau de tous les instruments de domination, centre de toute tyrannie ; l’Etat qui est, par sa destination l’ennemi de l’individu, pour le triomphe de qui l’anarchisme a toujours combattu, et dont il est fait si bon marché dans la période actuelle, par les défenseurs du droit également situés, ne l’oublions pas, de chaque côté de la frontière. En s’incorporant à lui, volontairement, les signataires de la déclaration ont, en même temps, renié l’anarchisme.
Nous autres, qui avons conscience d’être demeurés dans la droite ligne d’un anarchisme dont la vérité ne peut avoir changé du fait de cette guerre, guerre prévue depuis longtemps, et qui n’est que la manifestation suprême de ces maux que sont l’Etat et le capitalisme, nous tenons à nous désolidariser d’avec ces camarades qui ont abandonné leurs idées, nos idées, dans une circonstance où, plus que jamais, il était nécessaire de les proclamer haut et ferme.
Producteurs de la richesse sociale, prolétaires manuels et intellectuels, hommes de mentalité affranchis, nous sommes, de fait et de volonté, des sans patrie. D’ailleurs, patrie n’est que le nom poétique de l’Etat. N’ayant rien à défendre pas même des libertés acquises que ne saurait nous donner l’Etat, nous répudions l’hypocrite distinguo des guerres offensives et des guerres défensives. Nous ne connaissons que des guerres faites entre gouvernements, entre capitalistes, au prix de la vie, de la douleur et de la misère de leurs sujets. La guerre actuelle en est l’exemple frappant. Tant que les peuples ne voudront pas procéder à l’instauration d’une société libertaire et communiste, la paix ne sera que la trêve employée à préparer la guerre suivante, la guerre entre peuples étant en puissance dans les principes d’autorité et de propriété. Le seul moyen de mettre fin à la guerre, de prévenir toute guerre, c’est la révolution expropriatrice, la guerre sociale, la seule à laquelle nous puissions, anarchistes, donner notre vie. Et ce que n’ont pu dire les seize à la fin de leur déclaration, nous le crions : Vive l’Anarchie !
Le groupe international anarchiste de Londres.

* Note : Signé en particulier par Errico MalatestaEmma GoldmanAlexander BerkmanRudolf RockerVolineSébastien FaureFerdinand Domela Nieuwenhuis


Like it? Share with your friends!

1

Anarchie, vous avez dit anarchie ?

log in

reset password

Back to
log in