François Béranger (1937-2003) est un chanteur contestataire qui a marqué les années 70. Qu’on se souvienne de Magouille blues, sur l’excellent album Le monde bouge, en 1974 :
Si la chanson brocarde les politicards, le message final est ambiguë : il faudrait voter pour les gauchistes… alors que nous répétons sans cesse : élections, pièges à cons ! Les politiciens d’extrême-gauche font partie du cirque électoral, ils renforcent l’illusion démocrotte, ils veulent plus d’Etat, comme ils le préconisent… alors que nous sommes pour sa destruction complète !
Sur le même album, Béranger nous pond un Manifeste que beaucoup d’entre nous signeraient… non ? :
Puis, en 1979, il chante Mamadou m’a dit :
Deux réflexions nous viennent :
* d’abord, il ne faut pas banaliser le racisme, toujours présent, toujours virulent et pas uniquement du côté de l’extrême-droite, cet épouvantail télégénique ;
* ensuite la chanson dénonce clairement le pillage de l’Afrique… il faut bien savoir que les capitalistes ont toujours fait d’énormes bénéfices sur le pillage, le vol, l’usure, etc., autant que sur l’exploitation « traditionnelle » des prolétaires. Ce ne sont pas les bourgeois africains qui sont pillés, mais bien nos frères de classe. Votre avis est le bienvenu pour cette discussion toujours ouverte.
En 1997, Béranger proclame L’Etat de merde :
Souvenons-nous de mai 68 et ses directives claires, dont celle-ci, anonyme : « Veuillez laisser l’Etat dans les toilettes où vous l’avez trouvé en entrant ! »
Voir Sous les pavés, la plage – La bande-son de mai 68, dans la rubrique Divers.
Nous aurions pu vous présenter plein de bonnes chansons vivifiantes de François Béranger, mais nous vous laissons avec son concert à Charleroi, en Belgique, en 1975 :
Paroles
Magouille blues
Tous les sept ans et même parfois avant
On a droit au grand carnaval
Au carnaval de la magouille
Au grand défilé des embrouilles
C’est tellement bidonnant
Que ça en devient consternant
Le candidat de l’Ordre Moral
Avec sa gueule à faire châtrer tous les mâles
Il nous parle sans rigoler
De vieilles vertus desséchées
Travail, Famille, Patrie, ça va changer
Le Père la pudeur va nous réformer
Il nous dit dans son programme d’acier
Que les mâles doivent se retirer
Lui, il a quand même dérapé
Trois ou quatre fois dans sa moitié
Il est vrai qu’ c’était pour engendrer
Des bons Français à l’âme bien trempée
Magouille blues
Les autres grands qui s’opposent
Viennent tous du même clan
Et c’est d’autant plus marrant
De les voir se casser les dents
En s’envoyant dans le nez
Toutes leurs turpitudes passées
Avant qu’ l’un d’eux soit Président
Avant qu’il en prenne pour sept ans
Ces messieurs à image sociale
Essaient de nous r’monter le moral
Ils iraient même, qui l’aurait crû,
Jusqu’à nous montrer leur cul
Magouille blues
Ils n’ont jamais autant de cœur
Que quand il leur faut beaucoup d’électeurs
Quand le jour J sera passé
Finis les serments, finis les baisers
Finies les bonnes résolutions
On r’deviendra tous des pauv’ cons
En attendant, ils veulent nous faire croire à
Des arguments de bazar
Français, Françaises, soyez réalistes
Gaffe aux socialo-communistes
C’est là qu’est le plus grand danger
Pour notre vieux pays traumatisé
Magouille blues
Moi, pour vous dire la vérité
Je suis plutôt pour le danger
La seule chose qui m’inquiète
C’est le mec qui s’ trouve à leur tête
Car plusieurs fois par le passé
Il a sa veste retournée
Les seuls qui soient vraiment sympa
Qui soient un peu comme vous et moi
Je n’ parle pas du royaliste
Ni bien entendu du fasciste
C’est ceux qu’auront au bout du compte
Deux ou trois pour cent des voix, pourquoi?
Magouille blues
Il est vrai que deux ou trois pour cent
Ça fait quand même pas mal de gens
Pas mal de gens qui s’ront fichés
Et qui un jour vont s’ retrouver
Dans un stade militairement gardé
Où on pourra toujours chanter
Magouille blues
Manifeste
On m’a dit : « Fais des chansons comme-ci »
On m’a dit : « Fais des chansons comme-ça »
Mais que surtout ça ne parle jamais
De choses vraies tellement vulgaires.
Comprenez-vous, entre nous cher ami,
La réalité, faut un peu l’arranger
La réalité, vous savez comme c’est
Bien souvent dégueulasse.
Bon dans une chanson, faut faire des ronds
Il faut créer des images-illusions
Pour faire avaler à nous pauvres couillons
Notre ennui quotidien.
Viens mon amour, ma joie
Sur la colline aux senteurs orientales
On va sûrement rencontrer Jésus Christ
Dans un caleçon à fleurs de Monoprix.
Il aura sa plus belle auréole
En plastique à dentelle mécanique
Rien de changé sur notre quotidien
Sur toutes les choses qui font que l’on est
Bien manipulé, bien conditionné
Par une bande de requins.
Rien de changé depuis la Communale
Où pendant des années on bourre le crâne
Aux enfants à grands coups de programmes
Pour qu’ils soient bien dressés.
Rien de changé dans les usines
La gueule des mecs de l’équipe de nuit
Qui vont dormir quand le soleil se lève
Exténués, abrutis.
Les petites fleurs, les petits oiseaux
Les petites filles, le français moyen
Les grosses bagnoles et les belles motos
Pour superviriliser nos minets.
Belle fille heureuse dans son corps
Grâce au tampon Igiénix qui ne fuit pas.
Rien de changé depuis l’Algérie
Sinon que maintenant il est permis
D’en parler et de gagner des sous
Avec des milliers de cadavres.
Rien de changé depuis un tabassage
A la matraque un 14 juillet
Pour avoir osé chanter et danser
Quand c’était interdit.
Rien de changé depuis qu’un jour j’ai pissé
Sur ma télé tellement c’était chouette
Et bien sûr toute l’électricité
M’est passée dans la quéquette.
Bonsoir téléspectateurs
Ce soir sur la deuxième chaîne couleur
Dans notre série «Que la vie est belle !»
Notre grande enquête sur les mirabelles
Et puis avant d’aller au dodo
Championnat du monde de rotoplots.
Rien de changé pour la fille de treize ans
Avec ses petits seins et son visage d’enfant
Qui accouche terrorisée
Dans les chiottes du lycée.
Comme dirait un copain à moi
Un peu fou, même complètement fou
Qu’est-ce qu’on attend pour tout arrêter,
Tout casser et recommencer ?
Alors moi vous comprenez,
Les violons, la guimauve, les flonflons
Je trouve ça tellement anachronique
Que ça me donne la colique.
Je sais bien qu’une chanson
C’est pas tout à fait la révolution
Mais dire les choses c’est déjà mieux que rien
Et si chacun faisait la sienne dans son coin ?
Comme on a les mêmes choses sur le cœur
Un jour on pourrait chanter en chœur…
Mamadou m’a dit
Mamadou m’a dit
Mamadou m’a dit
Mamadou m’a dit
On a pressé le citron, on peut jeter la peau
Mamadou m’a dit
Mamadou m’a dit
On a pressé le citron, on peut jeter la peau
Les citrons c’est les négros, tous les bronzés d’Afrique
Sénégal, Mauritanie
Haute-Volta, Togo, Mali
Côte d’Ivoire et Guinée
Bénin, Maroc, Algérie
Cameroun et tutti quanti
Cameroun et tutti quanti
Les colons sont partis avec des flons-flons
Des discours solennels des bénédictions
Chaque peuple c’est normal dispose de lui-même
Et doit s’épanouir dans l’harmonie
Une fois qu’on l’a saigné aux quatre veines
Qu’on l’a bien ratissé et qu’on lui a tout pris
Mamadou m’a dit
Mamadou m’a dit
On a pressé le citron, on peut jeter la peau
Mamadou m’a dit
Mamadou m’a dit
Sur un pressé le citron, on peut jeter la peau
Les colons sont partis, ils ont mis à leur place
Une nouvelle élite de noirs bien blanchis
Le monde blanc rigole, les nouveaux c’est bizarre
Sont pires que les anciens, c’est sûrement un hasard
Le monde blanc rigole quand un petit sergent
Se fait sacrer empereur avec mille glorioles
Après tout c’est pas grave du moment que les terres
Produisent pour les blancs ce qui est nécessaire
Le coton, l’arachide, le sucre, le cacao
Remplissent les bateaux, saturent les entrepôts
Mamadou m’a dit
Mamadou m’a dit
On a pressé le citron, on peut jeter la peau
Mamadou m’a dit
Mamadou m’a dit
On a pressé le citron, on peut jeter la peau
(Oh là dis donc, là dis donc)
Après tout c’est pas grave, les colons sont partis
Que l’Afrique se démerde, que les paysans crèvent
Les colons sont partis avec dans leurs bagages
Quelques bateaux d’esclaves pour pas perdre la main
Quelques bateaux d’esclaves pour balayer les rues
Ils se ressemblent tous avec leur passe-montagne
Ils ont froid à la peau et encore plus au cœur
Là-bas c’est la famine et ici la misère
Et comme il faut parfois manger et puis dormir
Dans les foyers taudis on vit dans le sordide
Mamadou m’a dit
Mamadou m’a dit
On a pressé le citron, on peut la peau
Mamadou m’a dit
Mamadou m’a dit
On a pressé le citron, on peut jeter la peau
Et puis un jour la crise nous envahit aussi
Qu’on les renvoie chez eux, ils seront plus heureux
Qu’on leur donne un pourboire, faut être libéral
Et quand à ceux qui râlent, un bon coup d’pied au cul
Vous comprenez Monsieur, c’est quand même pas normal
Ils nous bouffent notre pain, ils reluquent nos femmes
Qu’ils retournent faire les singes dans leurs cocotiers
Tous nos bons nègres à nous qu’on a si bien soignés
Et puis c’qui est certain c’est qu’un rien les amuse
Ils sont toujours à rire, ce sont de vrais gamins
Mamadou m’a dit
Mamadou m’a dit
On a pressé le citron, on peut jeter la peau
Mamadou m’a dit
Mamadou m’a dit
On a pressé le citron, on peut jeter la peau
Mamadou m’a dit
Mamadou m’a dit
On a pressé le citron, on peut jeter la peau
Mamadou m’a dit
Mamadou m’a dit
On a pressé le citron, on peut jeter la peau
L’Etat de merde
Avant d’acheter ma carte Vermeil
Pour faire des voyages au soleil
Ou rentrer dans ma tour d’ivoire
Pour enfin jouir de mes avoirs
Avant que ma tête soit ramollie
Avant que mon corps ait trop vieilli
Avant que les vers me ponctionnent
Je voudrais qu’on éclaire ma route
Que l’on m’explique
Une fois pour toutes
Comment l’État ça fonct-i-onne
Ce gros machin mystérieux
Qui fait que les gens sont pas heureux
Je dis, avant que ma voix ne se perde:
L’État, l’État, c’est… L’État de merde
Dire que l’État est scatologique
C’est pas vraiment très sympathique
Pour la vraie fiente, le vrai crottin
Qui engraisse si bien nos jardins
Comparer l’État à des tas
De bouse, de purin, de lisier
C’est négatif comme postulat
On est quand même les héritiers
De la Grande Révolution
Que le monde entier nous envie
Mais la pauvre vieille, pervertie
Épuisée par la concussion
N’a plus vraiment grand chose à perdre
L’État, l’État, c’est… L’État de merdre
L’État après tout c’est virtuel
C’est comme le Bon Dieu et ses saints
Ça n’a pas d’existence réelle
Ça sort de nos esprits malsains
Mais ça commande à la Justice
Ça fait la loi et la police
Ça joue avec le nucléaire
Ça décide si on fait la guerre
Avec l’argent des citoyens
Avouez que c’est quand même pas rien
Faut croire qu’on a l’esprit patraque
Pour supporter de telles arnaques
Masochistes, on aime bien marcher
Dans l’État, dans l’État de merde
Ça fait soixante ans que je respire
Et plus ça va, plus ça empire
Hier pour former ma jeunesse
J’ai eu ma petite guerre coloniale
Et puis quarante de promesses
Raisons d’État, discours moral
Xénophobie et exclusion
Gouvernés par des maquignons
On se demande qui les a mis là…
Pardi c’est vous, c’est nous, c’est moi!
Demain l’Europe du Capital
La flexibilité mondiale
Désespéré, je m’asphyxie
Dans l’État, dans l’État de merde