La complainte de Mandrin



Louis Mandrin (1725-1755) est le plus célèbre contrebandier de France ! Sa légende a dépassé les frontières et les siècles, grâce à une chanson anonyme, La complainte de Mandrin, chantée sur un air d’opéra à la mode. Wikipedia cite une autre complainte, plus ancienne, qui aurait pu aider à la création de cette chanson. Voir texte plus bas. La Complainte se permet quelques fantaisies par rapport à Mandrin. Ainsi, celui-ci et ses amis n’étaient pas habillés de blanc, ils ont très peu volé, et Mandrin lui-même n’a pas été pendu à Grenoble, mais roué à Valence… Pour autant, nous n’allons pas faire la fine bouche et retenons que notre classe sociale, notre humanité, aime se souvenir de ses héros sociaux, qui prennent aux riches pour soutenir les pauvres. Juste retour des choses ! Car l’activité principale de Mandrin a été d’acheter à l’étranger, Suisse, Savoie, et dans la région, des tissus et du tabac qu’il revendait quasi à prix coûtant à la population, sans payer de taxe, ce que le capitalisme ne supporte pas. Il rentre très consciemment en guerre contre la Compagnie des Fermiers généraux, ces collecteurs de taxes et d’impôts, au service du roi… qu’ils volent autant qu’ils volent le petit peuple et sont donc haïs au-delà de tout.
La population va soutenir Mandrin et ses hommes.
L’historiographie bourgeoise va gommer de nos mémoires notre passé riche de luttes, de résistances, de combats, de rejets des lois, des taxes et autres injustices, et il est vital pour l’Etat, le plus grand voleur, que l’on oublie ces errements, ces erreurs, ces déviances.
Pour tenter de contrecarrer cette perte de notre mémoire, il faut lire absolument Les Bandits, de E.J. Hobsbawm (La Découverte, 1999), dont voici un extrait de la présentation : « Le banditisme, écrit-il, c’est la ‘liberté’ : vengeurs, justiciers, libérateurs, parfois révolutionnaires, les bandits ont surtout été, au fil des siècles, les défenseurs acharnés de la justice sociale. De Robin des Bois, le  » brigand au grand cœur « , aux haïdouks en passant par Jesse James et Billy the Kid, l’auteur retrace, dans cet ouvrage passionnant, l’histoire mouvementée du  » banditisme social « . »
Ainsi Moi, Phoolan Devi, reine des bandits (J’ai lu, 1996), conte l’histoire, qui se passe en Inde, dans les années 1980, de cette toute jeune fille, violée et torturée, qui décide de se battre et va rejoindre… des « bandits » ! Dans ce livre sont bien expliqués les rapports entre les « bandits » et les habitants des montagnes, sans la protection desquels ils ne pourraient se maintenir. Exactement comme lors de l’épopée de Mandrin.
Ainsi de Cartouche (1693-1721), prédécesseur de Mandrin, voleur de riches, capturé, torturé et roué vif en place publique, comme lui, immolé sur l’autel de la soumission à l’ordre marchand ! Comme Mandrin il a droit aussi à sa complainte :

Ainsi de Jean-Pierre Bouissou, dit le Voleur d’Alpuech (1773-1806), dans l’Aveyron, dont un dépliant touristique ose ce commentaire : « … il prend aux riches pour donner aux plus démunis » !
Ainsi de tellement de nos frères qui ont refusé l’esclavage quotidien et tenté de vivre, en marge, avec ou sans le soutien des populations locales. Comment ne pas penser aux innombrables marrons, esclaves noirs se sauvant de l’horreur. Voir aussi Déserteurs, dans la rubrique Divers.
Intéressant, cet extrait de wikipedia : « Son nom-même, « Mandrin », devient à l’époque un nom commun. La proximité avec le mot « malandrin » aidant, l’expression « les mandrins » sert dans un premier temps à désigner la bande de Mandrin elle-même, puis toutes les bandes contrebandières de la région. »
Il y a un curieux site, bien documenté, dédié à la mémoire de Mandrin, où l’anecdotique côtoie l’important, telle cette dernière phrase d’une Chanson à la louange du grand Mandrin : « J’aurais jouy comme eux d’une autre récompence, Si j’eusse dépouillé des peuples innocens. »
« Eux », ce sont les puissants, nos maîtres donneurs de leçons qu’ils n’appliquent pas, garants d’une morale qu’ils foulent au pied, exploiteurs, massacreurs de « peuples innocents ». Ce site est ici :
https://www.mandrin.org/paroles-la-complainte-de-mandrin.html

Plutôt que la célèbre version de La Complainte de Mandrin d’Yves Montand, écoutons celle de Cristini :


Paroles

Nous étions vingt ou trente
Brigands dans une bande,
Tous habillés de blanc
A la mode des, vous m’entendez,
Tous habillés de blanc
A la mode des marchands.

La première volerie
Que je fis dans ma vie,
C’est d’avoir goupillé
La bourse d’un, vous m’entendez,
C’est d’avoir goupillé
La bourse d’un curé.

J’entrai dedans sa chambre,
Mon Dieu, qu’elle était grande,
J’y trouvai mille écus,
Je mis la main, vous m’entendez,
J’y trouvai mille écus,
Je mis la main dessus.

J’entrai dedans une autre
Mon Dieu, qu’elle était haute,
De robes et de manteaux
J’en chargeai trois, vous m’entendez,
De robes et de manteaux
J’en chargeai trois chariots.

Je les portai pour vendre
A la foire de Hollande
J’les vendis bon marché
Ils m’avaient rien, vous m’entendez,
J’les vendis bon marché
Ils m’avaient rien coûté.

Ces messieurs de Grenoble
Avec leurs longues robes
Et leurs bonnets carrés
M’eurent bientôt, vous m’entendez,
Et leurs bonnets carrés
M’eurent bientôt jugé.

Ils m’ont jugé à pendre,
Que c’est dur à entendre
A pendre et étrangler
Sur la place du, vous m’entendez,
à pendre et étrangler
Sur la place du marché.

Monté sur la potence
Je regardai la France
Je vis mes compagnons
A l’ombre d’un, vous m’entendez,
Je vis mes compagnons
A l’ombre d’un buisson.

Compagnons de misère
Allez dire à ma mère
Qu’elle ne m’reverra plus
J’ suis un enfant, vous m’entendez,
Qu’elle ne m’reverra plus
J’suis un enfant perdu.


Les trente voleurs de Bazoges*

I étions rassemblés trente,
Trente voleurs ensemble,
Tous habillés de blanc
Pour voler les marchands.

La premièr’ des vol’ries,
Q’i ous fait en notre vie,
Mes camarad’ et moi,
I avons volé le roi.**

I avons été à Rennes
Pour y voler la reine,
La reine y était pas,
I avons volé le roi.

I ons enfoncé les portes,
Les gard’ étions point fortes.
Les cabinets secrets,
I les avons trouvés.

I ons défoncé les coffres,
Pour y voler les robes,
Des rob’, aussi de l’or,
Le sujet de ma mort.

Nous en furant à Nantes,
A Nant’ au marché vendre.
Vendre à bien bon marché,
C’qui nous a rien coûté.

Le curé de Bazoges,
Avecque sa grand’robe,
Et son bonnet carré,
Nous a bien mal jugés.

Nous a jugé’ à pendre,
Lundi sans plus attendre,
Mardi sans plus tarder,
A pendre ou à brûler.

Si iavais cru mon père,
Mon père aussi ma mère,
I ne s’rais point ici,
Dans tchés maudits pays.

Si j’avais cru ma femme,
Ma femm’, ma jolie femme,
Mes trois petits enfants,
I s’rais riche marchand.

* Bazoges-en-Pareds, Vendée.
** Sans doute le duc de Bretagne.

Le jeudi 3 février 1583, M. Rapin, Vice-Sénéchal de Fontenay-le-Comte, accompagné de ses soldats, au nombre de 25, tuèrent à Réaumur 40 ou 50 voleurs, qui, sous ombre d’être de compagnie, pillaient et rançonnaient les pauvres rustiques du plat pays, et violaient les femmes, sauf un ou deux desdits voleurs, dont l’un estait sergent de leur compagnie, qu’il fit conduire audit Fontenay, où il le fit pendre.

Cette complainte offre une grande ressemblance avec la Chanson nouvelle sur les regrets d’un voleur nommé Caplanbou, qui fut mis sur la roue et exécuté à Tholose, le 3 septembre 1583.

Source : Jérôme Bujeaud, Chansons populaires des provinces de l’ouest (1865).

 


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