Allons enfants


 

La Canaille propose ce rap en 2009, d’une rare radicalité, d’un niveau surprenant de critique sociale. Contre les idéologies anti-complotistes à la mode, expressions d’une grande  naïveté sociale de certains qui se prétendent pourtant radicaux, la chanson décortique tous les mécanismes de domination de l’élite, de nos dirigeants, de nos maîtres.

Allons enfants reprend le premier vers de la Marseillaise, assénée en continu depuis deux siècles, et retourne tous les mécanismes utilisés pour nous faire avancer au boulot et sur les champs de bataille. Travaille pour moi, et, dit le texte, « tue pour moi. »

Tue loin de chez toi ces peuples insoumis qui osent relever la tête.

N’importe qui peut se renseigner sur le groupe Bilderberg et savoir que c’est dans ce type de cénacle, à peine secret, que se choisissent les dirigeants « nationaux » et leurs politiques générales : « J’ai la mainmise au jeu des urnes/Simple formalité que je règle en réunion nocturne. »

Et les votards de voter… vite, relisons Libertad, dont nous reproduisons, ci-dessous, le vivifiant texte du 1er mars 1906, paru dans L’Anarchie n°47.

La Canaille relève le lien entre la soumission au quotidien… et l’abattoir des champs de bataille : « Je suis le silence des pantoufles avant le bruit des bottes. » L’expression chair à patron-chair à canon n’a jamais été aussi bien explicitée.
Le bruit des bottes c’est aussi celui des flics qui imposent la terreur salariale. Nous avons intégré l’obéissance, avec sa complice la peur. Nos maîtres ont beau jeu de nous jeter des réjouissances aseptisées pour agrémenter nos vies perdues.

La Canaille signe là une magnifique chanson de résistance, lucidité chevillée aux vers qui se succèdent comme une mise en garde, sans chichis, sans artifice. Du parler vrai.


Paroles

Je suis l’appel de l’épée conservatrice il est l’heure
Je veux des preuves de ton sens du sacrifice allez lève toi, bats toi, tue pour moi
Fais couler le sang impur sans demander pourquoi viens suis moi
Je suis la plus belle cause pour mourir
Au nom de toutes tes bouches à nourrir
Contiens ta douleur fais ton devoir avec passion
Question d’honneur pour la grandeur de la Nation
Les traîtres et les ordures moi je leur plante mon drapeau
Et à grand coup de clairon je les torture je les Guantanamo
Ne t’avises surtout pas de renier ton pays
Je te veux docile, écoute et obéis

J’aime la discipline la hiérarchie
Les uniformes et les insignes je protège l’ordre établi
Respectueux des traditions j’ai horreur du changement
Je tiens à garder ma place donc je la défends
Testostérone à bloc je donne dans la gonflette
Ni mauviette ni dent douce j’ai l’esprit d’compet’
L’esprit d’conquête, un faible pour les coups bas
Chauvin imbu de moi je revendique la grosse tête
Je ne me complais que dans l’excès la démesure
Homme d’exception j’viens marquer l’histoire d’ma signature
Je kiffe les bains de foule qui donne de l’assise à mon statut
Ces grandes messes populaires qui t’en mettent plein la vue
Je prends mon pied dans les tribunes de tous les stades
C’est jour de fête et étendard levé je parade
La foule m’acclame et s’égosille sous mon emprise
Et moi j’rigole quand ça déborde quand elle se radicalise

Animé par le désir de dominer je suis né pour briller
Le faire savoir au monde entier
En temps de crise je gonfle mes rangs dans la misère
Je divise et encourage le repli communautaire
Chacun pour soi et Dieu pour tous
Je croque les faibles, je m’étends je les repousse
Je fonce sur tous les fronts refuse de ronger mon frein
Je sais qu’au bout du compte il ne peut y en rester qu’un
Fier de mes frontières je choisis mes étrangers
Et si j’pouvais les autres, j’voudrais tous les étrangler
Les mettre au pas leur montrer qui c’est l’patron
Piller leurs richesses avant de brûler leurs maisons
Violer leurs femmes et purifier enfin leurs gênes
J’aime entendre leurs cris pour apaiser ma haine
J’voudrais les voir se prosterner devant mon Dieu
J’leur imposerai mes valeurs fusil chargé entre les yeux

J’ai l’arme absolue pour diriger tout un empire
Je suis la race élue j’ai foi en l’avenir
J’ai vu les plus grands chefs s’asseoir à ma table
Je les oriente les conseille, me sont tous redevables
À mon actif une pléthore de coups d’éclat
De somptueux complots de messes basses de coups d’Etat
J’ai l’art et la manière de servir leurs noirs desseins
De raviver ce feu même s’il te parait éteint
Je suis le silence des pantoufles avant le bruit des bottes
Souveraineté légitime j’ai l’appui du bulletin de vote
Et ouais petit
J’ai la main mise au jeu des urnes
Simple formalité que je règle en réunion nocturne
J’ai la force de déplacer les montagnes, les craintes
Avec moi tu marqueras même la lune de ton empreinte
Abreuve toi de mon sillon ensemble tout devient possible
Sous mon couvert la pire ignominie parait crédible

Enfin j’érige des monuments à la gloire de mes martyrs
Et distribue deux-trois médailles aux soldats qui ont pu revenir
Eternellement reconnaissant, une salve à l’enterrement
J’lâche des fleurs en leur mémoire une fois par an
Je suis la propagande officielle
Ma face sur tous les murs, j’avance béni du ciel
Je diabolise l’ennemi selon mes intérêts
Et je joue sur tes peurs pour que la hache soit déterrée
Je sais très bien comment te retourner l’cerveau
Je te travaille au corps, jusqu’à trouver ta faille
Vulgaire chair à canon je ne donne pas cher de ta peau
Je suis ce vent qui rend fou dans les champs de bataille
Le ton, les mots qu’il faut, le chant parfait
Je fanfaronne, galvanise les troupes et met l’paquet
Je suis la voix du patriote aux yeux de braise
Tu connais bien une de mes filles on la surnomme la Marseillaise


Placard anti-électoral, 1er mars 1906.
Publié par l’Anarchie n°47 et signé Albert Libertad.

C’est toi le criminel, ô Peuple, puisque c’est toi le Souverain. Tu es, il est vrai, le criminel inconscient et naïf. Tu votes et tu ne vois pas que tu es ta propre victime.

Pourtant n’as-tu pas encore assez expérimenté que les députés, qui promettent de te défendre, comme tous les gouvernements du monde présent et passé, sont des menteurs et des impuissants ?

Tu le sais et tu t’en plains ! Tu le sais et tu les nommes ! Les gouvernants quels qu’ils soient, ont travaillé, travaillent et travailleront pour leurs intérêts, pour ceux de leurs castes et de leurs coteries.

Où en a-t-il été et comment pourrait-il en être autrement ? Les gouvernés sont des subalternes et des exploités : en connais-tu qui ne le soient pas ?

Tant que tu n’as pas compris que c’est à toi seul qu’il appartient de produire et de vivre à ta guise, tant que tu supporteras, – par crainte,- et que tu fabriqueras toi-même, – par croyance à l’autorité nécessaire,- des chefs et des directeurs, sache-le bien aussi, tes délégués et tes maîtres vivront de ton labeur et de ta niaiserie. Tu te plains de tout ! Mais n’est-ce pas toi l’auteur des mille plaies qui te dévorent ?

Tu te plains de la police, de l’armée, de la justice, des casernes, des prisons, des administrations, des lois, des ministres, du gouvernement, des financiers, des spéculateurs, des fonctionnaires, des patrons, des prêtres, des proprios, des salaires, des chômages, du parlement, des impôts, des gabelous, des rentiers, de la cherté des vivres, des fermages et des loyers, des longues journées d’atelier et d’usine, de la maigre pitance, des privations sans nombre et de la masse infinie des iniquités sociales.

Tu te plains ; mais tu veux le maintien du système où tu végètes. Tu te révoltes parfois, mais pour recommencer toujours. C’est toi qui produis tout, qui laboures et sèmes, qui forges et tisses, qui pétris et transformes, qui construis et fabriques, qui alimentes et fécondes !

Pourquoi donc ne consommes-tu pas à ta faim ? Pourquoi es-tu le mal vêtu, le mal nourri, le mal abrité ? Oui, pourquoi le sans pain, le sans souliers, le sans demeure ? Pourquoi n’es-tu pas ton maître ? Pourquoi te courbes-tu, obéis-tu, sers-tu ? Pourquoi es-tu l’inférieur, l’humilié, l’offensé, le serviteur, l’esclave ?

Tu élabores tout et tu ne possèdes rien ? Tout est par toi et tu n’es rien.

Je me trompe. Tu es l’électeur, le votard, celui qui accepte ce qui est ; celui qui, par le bulletin de vote, sanctionne toutes ses misères ; celui qui, en votant, consacre toutes ses servitudes.

Tu es le volontaire valet, le domestique aimable, le laquais, le larbin, le chien léchant le fouet, rampant devant la poigne du maître. Tu es le sergot, le geôlier et le mouchard. Tu es le bon soldat, le portier modèle, le locataire bénévole. Tu es l’employé fidèle, le serviteur dévoué, le paysan sobre, l’ouvrier résigné de ton propre esclavage. Tu es toi-même ton bourreau. De quoi te plains-tu ?

Tu es un danger pour nous, hommes libres, pour nous, anarchistes. Tu es un danger à l’égal des tyrans, des maîtres que tu te donnes, que tu nommes, que tu soutiens, que tu nourris, que tu protèges de tes baïonnettes, que tu défends de ta force de brute, que tu exaltes de ton ignorance, que tu légalises par tes bulletins de vote, – et que tu nous imposes par ton imbécillité.

C’est bien toi le Souverain, que l’on flagorne et que l’on dupe. Les discours t’encensent. Les affiches te raccrochent ; tu aimes les âneries et les courtisaneries : sois satisfait, en attendant d’être fusillé aux colonies, d’être massacré aux frontières, à l’ombre de ton drapeau.

Si des langues intéressées pourlèchent ta fiente royale, ô Souverain ! Si des candidats affamés de commandements et bourrés de platitudes, brossent l’échine et la croupe de ton autocratie de papier ; Si tu te grises de l’encens et des promesses que te déversent ceux qui t’ont toujours trahi, te trompent et te vendront demain : c’est que toi-même tu leur ressembles. C’est que tu ne vaux pas mieux que la horde de tes faméliques adulateurs. C’est que n’ayant pu t’élever à la conscience de ton individualité et de ton indépendance, tu es incapable de t’affranchir par toi-même. Tu ne veux, donc tu ne peux être libre.

Allons, vote bien ! Aies confiance en tes mandataires, crois en tes élus.

Mais cesse de te plaindre. Les jougs que tu subis, c’est toi-même qui te les imposes. Les crimes dont tu souffres, c’est toi qui les commets. C’est toi le maître, c’est toi le criminel, et, ironie, c’est toi l’esclave, c’est toi la victime.

Nous autres, las de l’oppression des maîtres que tu nous donnes, las de supporter leur arrogance, las de supporter ta passivité, nous venons t’appeler à la réflexion, à l’action.

Allons, un bon mouvement : quitte l’habit étroit de la législation, lave ton corps rudement, afin que crèvent les parasites et la vermine qui te dévorent. Alors seulement du pourras vivre pleinement.

LE CRIMINEL, c’est l’Electeur !

 


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